Iyad Boustany
Medium.com – 12/01/2022
ICI Beyrouth – 25/02/2022 link: https://icibeyrouth.com/liban/40359 (1/2)
ICI Beyrouth – 7//03/2022 link: https://icibeyrouth.com/liban/44472 (2/2)
Jean Paulhan écrit en 1932 que “qui désire s’engager politiquement n’a de véritable choix qu’entre Karl Marx et Charles Maurras”. En 2021 au Liban, le choix est entre les fédéralistes et les autres.
Le débat politique Libanais s’articule autour de deux mondes de pensée politique pas plus. D’un côté les fédéralistes et de l’autre, celui de la doxa dominante composée de groupes épars et éclectiques qui ont essentiellement un trait en commun: l’antifédéralisme. Pour les fédéralistes, le problème du Liban s’articule autour de sa diversité ethnoculturelle, réalité niée par la doxa dominante. Pour ces derniers, la faillite du système en place est le fait d’une classe dirigeante «incompétente et malhonnête». Le système, la constitution, n’y sont pour rien ou presque. Les groupes sociaux qui composent cet ensemble anti-fédéraliste incluent la bourgeoisie mondialisée, les medias, le clergé, les gauches, les révolutionnaires de tous poils et de tout acabit et même les chefs de partis politiques traditionnels. Tous portent le même diagnostic sur le problème du Liban et proposent les mêmes solutions. Tous affirment que le problème du Liban est un problème de personnes (identifies sous les termes de manzouma, clique, warlords) et que la solution est le changement des équipés en place. Pour faire bonne mesure, les tenants de la doctrine dominante concèdent la nécessité de quelques reformes éparses essentiellement à caractère administratif. Sans aller dans les détails, ici-bas quelques points portant sur les erreurs méthodologiques et analytiques des tenants de la doxa dominante.
- Quel est le problème du Liban.
D’abord un constat: Les anti-fédéralistes évitent de se prononcer sur, ou même de formuler un « problème du Liban ». Comme qui souhaite mener une démonstration sans poser d’axiomes. Systématiquement, les publications des anti-fédéralistes font l’économie de l’énoncé de problème. Leurs écrits se résument généralement à une litanie de poncifs, de sentences, souvent sur un ton moralisateur et emphatique. Nous comprenons tous les raisons à cela. Enoncer un postulat de départ, tenter de définir un problème du Liban, mettrait à mal leurs analyses et donc leurs conclusions. Cela risquerait de prendre leur esprit là où ils ne souhaiteraient pas qu’il aille. Mais passons. Les plus téméraires, quand ils s’aventurent sur ce terrain réduisent le problème du Liban «à la corruption et au sectarisme» et pour se donner un peu de substance, ils ébauchent des banalités sur une «nécessaire déconfessionnalisation politique accompagnée d’une décentralisation administrative». Pour les fédéralistes, le problème du Liban est double et tiens en quelques mots : d’abord un problème de gestion de diversité ethnoculturelle et ensuite un problème de gouvernance.
- Subsidiarité et verticalité
Une deuxième faute méthodologique résulte de la combinaison tragique de a) la méconnaissance du principe de subsidiarité et b) la foi inébranlable en la verticalité du pouvoir. Comme indiqué plus haut, les élites socio-économiques forment l’ossature la plus visible de la doxa dominante antifédéralisme. Or les élites mondialisées se distinguent tout particulièrement par une méfiance vis à vis de tout pouvoir populaire. A cela s’ajoute une méconnaissance totale principe de subsidiarité. Et de la une incompréhension totale du mode de fonctionnement des régimes fédéraux. Il en résulte une pensée politique incohérente, des raisonnements alambiqués, des propositions constitutionnelles inapplicables, des constructions intellectuelles douteuses. Il suffit de lire les rares écrits de ces tenants de l’antifédéralisme pour palper leur incapacité à comprendre comment le système fédéral gère les conflits entre divers degrés de la structure de gouvernance (fédéral, cantonal et municipal). En effet, sans principe directeur et régulateur (la subsidiarité), est-il impossible de concevoir un modèle constitutionnel cohérent ? À celui qui ne sait vers quel port il navigue, nul vent n’est jamais favorable disait Seneque. Les antifédéralismes n’ont pas de destination précise. Ils sont unis par défaut, a contrario. Ils ne peuvent générer, séparément et encore moins collectivement, un système à forte cohérence.
- Sphère du fédéral
De la même veine sont les platitudes qui fleurissent ici ou là autour de l’impossible formulation d’une politique étrangère, brandi comme l’argument ultime, contre le fédéralisme. Les anti-fédéralistes ne se rendent même pas compte qu’ils sont victime d’une illusion, d’un tour que leur joue leur propre intellect. Il y a ici deux failles intellectuelles et méthodologiques majeures. D’abord a) la confusion entre cause et conséquence et ensuite, b) la mécompréhension du principe de déconnexion des responsabilités. Pour ce qui est de la confusion entre cause et conséquence, rappelons que la réalité du Liban est sont multiculturalisme. La cause première du problème du Liban est sa mauvaise gestion de la diversité. Une conséquence de cette diversité ethnoculturelle résulte en de différentes visions du monde, chacune propre à chaque groupe ethnoculturel, d’où les désaccords autour de la politique étrangère. Or un problème ne se règle pas en réglant sa conséquence, mais sa cause. Donc unifier ou pas les visions autour de la politique étrangère ne règle en rien le problème du Liban qui reste entier. Heureusement, là encore, la mécanique du système fédéral assure la bonne gestion de cet éternel clivage. Mais pour comprendre comment, encore faut-il que nos « élites anti fédéralistes » s’évertuent à apprendre à réfléchir « en contexte » c’est à dire dans un cadre constitutionnel précis, hors du confort du raisonnement universaliste et théorique. La constitution fédéraliste prévoit que les décisions sur les domaines de compétences fédérales requièrent l’unanimité des quatre cantons. D’où, en cas de désaccord sur la politique étrangère à suivre, une neutralité de facto. Mais le plus important n’est pas là. En effet, en régime fédéral, les désaccords sur les domaines « fédéraux » aussi clivant soient-ils, ne débordent pas sur la sphère cantonale et donc sur le quotidien des citoyens. S’écharper sur le nucléaires iranien, le pétrole saoudien, le gaz qatari, l’Arménie, Israël, les EU ou l’Europe, n’impacte ne rien la fourniture d’électricité, les concessions de solaire, la fourniture d’internet, les traitements des eaux uses, la collecte des déchets…… Contrairement à ce qui ce passe dans les systèmes centralisés, c’est ce « découplement » (de l’anglais « decoupling ») entre les trois niveaux de gouvernance -municipal, cantonal et fédéral- qui fonde l’optimalité de la solution fédérale. Les affirmations, le «fédéralisme ne résout pas les conflits du domaine de compétence de la fédération» est donc une ineptie sans nom tout autant qu’une insulte à l’intelligence des allemands et des Suisses.
- Dictature de la majorité
Les détracteurs du projet fédéral, s’imaginent un fédéralisme qui va singer un model American fédéralisme dit « géographique » totalement inadapté au Liban. Le fédéralisme géographique est au Liban tout aussi néfaste que la décentralisation administrative et pire encore que le système actuel. La tare première du fédéralisme géographique (et de la décentralisation administrative) étant de faire appliquer de manière indifférenciée sur des populations hétérogène la dictature de la majorité locale ou régionale. Le fédéralisme Libanais ne peut se construire que de manière différenciée «a la suisse». C’est le fédéralisme ethno-géographique (que le Liban a connu avec grand succès entre 1864 et 1915) qui prend ses racines dans le fameux principe d’Augsbourg de 1555 : cuius regio eius religio. Pour sortir des conflits confessionnels et religieux, pour assoir le sécularisme, pour promouvoir le développement encore faut-il que gouverneurs et gouvernés soient de la même religion! Bien sûr la doxa dominante déteste. Mais la cohérence intellectuelle est à ce prix.
- Civil, laïc et séculaire
La perle des arguments anti-fédéralistes réside dans l’opposition du fédéralisme ethno-géographique -perçu et imaginé comme sectaire et rétrograde- à un système alternatif au contour mal définis pour ne pas dire indéfinis fantasmé comme «civil, laïc et séculaire». Ils supposent, à tort évidemment, que le système fédéral ethno-géographique n’est pas civil, séculaire ni laïc. Mais le ridicule est ailleurs. Ces phrases sont reprises en boucle sans que leur plus fervent supporter n’en comprennent le sens. En effet les constitutions libanaises successives depuis la chute du régime monarchique en 1842 et la fin du féodalisme en en 1864 sont civils (non militaires), laïcs (non cléricaux) et séculaires (non théocratiques). Le système libanais actuel est civil, laïc et séculaire. Le partage du pouvoir entre communautés (identités, nation, millet) est un partage inclusif, une discrimination positive, pour associer les différentes nations/identités au système et éviter précisément la tare congénitale associée à tout régime démocratique en milieu multiethnique: la dictature indifférenciée de la majorité.
- Décentralisation administrative
S’agissant du projet de « décentralisation administrative » ! Le pathétique débute à l’article 1 de ce projet qui insiste sans équivoque que le Liban est et reste sous régime «centralisé»! Le ridicule ne tue donc pas!. Sans rentrer dans les détails, ce projet de décentralisation administrative présente les tares suivantes: D’abord a) il propose un fonds «centralisé» de décentralisation ! Encore une perle. Ce fonds est financé par les «riches» en faveur des pauvres. Bien. Mais les «riches» sont au Liban, on le sait, non pas les plus fortunés mais tout simplement ceux qui paient leurs impôts. D’où le transfert des richesses «spoliatif» de l’ordre de 25% du budget annuel de l’Etat ponctionné sur trois régions: Matn Kesroan et Beyrouth. Ensuite, b) la démocratie au niveau régional va permettre aux communautés majoritaires dans une région de dominer et à terme de chasser celles minoritaires. L’alternance y est impossible, car dépendante des changements démographiques. Enfin, c) ce projet de loi prévoit une inégalité de traitement entre résidents municipaux et «autochtone». En effet les résidents-originaires d’une municipalité ont 3x plus de poids électoral que les «résidents non-originaires» de cette localité. Une hérésie constitutionnelle. Sans parler des problèmes de transfert de population, et des conséquences irréversibles sur des communautés millénaires. La décentralisation administrative est donc prise entre deux feux. Réduite, elle ne sert à rien. Elargie, elle est fatale aux minorités locales (c.40% des ressortissants des diverses communautés sont concernées). Voici donc qu’on nous présente une réforme qui, au mieux, ne sert à rien et au pire est fatale pour la mosaïque libanaise.
- Les 10 commandements
La vrai solution au problème du Liban réside en l’adoption d’un nouveau contrat social base sur les dix principes suivants. a) du Roman National: Le Liban est un pays multinational dans le sens ou ses populations se reconnaissent de multiple «Romans Nationaux». La diversité ethnoculturelle est donc la donnée sociologique première, elle se matérialise au Liban par le terme «communauté». Au Liban «communauté» équivaut à «identité» non pas théologie ni foi religieuse; b) de l’Autogestion: Selon le principe fondateur de l’Europe moderne, cuius region eius religio, et afin de permettre au sécularisme de se développer, à la bonne gouvernance de s’imposer et à la responsabilisation de s’appliquer, gouverneurs et gouvernés se doivent d’être de la même “communauté”; c) de la Subsidiarité et du Localisme: principe par lequel l’autorité est dévolue du plus bas échelon vers le plus haut. C’est donc à partir de la municipalité que se construit le système politique. C’est à elle de déterminer (par vote) a quel l’ensemble de souveraineté cantonale elle souhaite appartenir (le canton). La municipalité devra, de même, déterminer l’étendue des pouvoirs qui sont transférés en vue de l’accomplissement de «bien public»; d) de la Solidarité: Avec la subsidiarité viens la responsabilité. Toute communauté humaine organisée et libre (la municipalité) doit être responsable. Ces devoirs sont proportionnels à ses droits. Plus elle est libre plus elle doit être solidaire. Le développement humain se doit donc d’être partagé; e) de la Souveraineté Cantonale: Les élections législatives se font au niveau du canton. Il n’y a pas d’élections législatives fédérales. Les conflits sont tranchées en ultime recours au niveau cantonal ; f) de la Structure: Le modèle est à 3 niveaux fixes: Municipal, Cantonal and Fédéral. Le modèle permet des regroupements d’ensemble a «géométrie variable» (des regroupements de municipalités) afin de trouver, au cas par cas, l’optimalité économique et la «taille critique» nécessaire permettant la faisabilité et la viabilité des projets d’infrastructure ; g) de la Gouvernance Fédérale: Toutes les autorités fédérales sont construites sur le principe du «conseil de décision» ou siège chaque canton en y déléguant un représentant. Les décisions y sont systématiquement prises à l’unanimité ; h) de la Démocratie Directe: les résidents municipaux, les citoyens cantonaux, les nationaux — peuvent se saisir de tout sujet et/ou de toute décisions et la soumettre a décision ultime par referendum à initiative populaire, i) de la Feuille de Route: Le projet fédéral doit être formaté de manière inclusive et non pas exclusive. C’est seulement s’il est adopté par les différentes «communautés/nations» libanaise qu’il pourra devenir une réalité; j) de la Mise en Place: Les Libanais seront appelé au vote au niveau municipal (municipalité par municipalité) afin de s’exprimer librement de leur volonté d’appartenance cantonale.
Les dix principes énoncés plus haut sont un archipel de pensée politique, un monde de cohérence intellectuelle qui s’articule autour de dix principes difficilement disputable tant leur portée est universelle et leur validation encrée dans la réalité sociologique du Liban. De ces dix principes découle un cadre constitutionnel cohérent qui épouse le vécu multiséculaire Libanais et son tissu social imbriqué.